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Joséphin Péladan
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Joséphin Péladan
Joséphin Péladan
Joséphin Péladan, né à Lyon le 29 mars 1858 et mort à Neuilly-sur-Seine le 27 juin 1918, est un écrivain et occultiste français. Il s'était donné le surnom de Sâr Mérodack Joséphin Péladan.
Biographie
Issu d'une famille de cultivateurs et de commerçants, Joseph-Aimé Péladan, qui se donnera plus tard le prénom de Joséphin, est le fils de Louis-Adrien Péladan, journaliste à La France littéraire, fondateur de La Semaine religieuse, mystique exalté et confus, et de Joséphine Vaquier. Son frère aîné, Adrien, qui deviendra médecin et érudit, l'instruit très tôt de toutes sortes de connaissances et, dès l'enfance, il voyage, à Avignon ou à Nîmes. Il manifeste un esprit indépendant qui lui vaut d'être renvoyé du lycée pour avoir traité un professeur d'athée, puis du petit séminaire de Nîmes.
Il entre comme employé au crédit Faillelle à Paris. Il voyage à Rome et à Florence où il se prend de passion pour le Quattrocento et pour Léonard de Vinci. De retour à Paris, il publie une nouvelle, Le Chemin de Damas, et entre à L'Artiste d'Arsène Houssaye où il rédige des critiques d'art. Il rencontre Léon Bloy et Paul Bourget et enthousiasme Jules Barbey d'Aurevilly qui préface son roman Le Vice suprême en 1884. Ce livre pétri de romantisme et d'occultisme, qui met en scène la lutte de forces secrètes qui s'acharnent à détruire l'humanité, prend résolument le contre-pied du naturalisme de Zola « ce porc-zola, ce pourceau qui est en même temps un âne ». Ce manifeste ouvre les portes des cénacles littéraires au jeune auteur de 26 ans. Son originalité plaît mais son exaltation fait sourire. Jean Lorrain le surnomme « le pélican blanc ». Plus tard on l'appellera « le Mage d'Épinal », « Platon du Terrail » ou « le Sâr pédalant ». Rodolphe Salis alla jusqu'à oser un très cruel « Artaxerfesse », ce qui lui valut des poursuites de l'intéressé. Il se fâche avec Léon Bloy, passe deux jours en prison pour avoir négligé de régulariser sa situation militaire et se met à publier un très grand nombre de textes.
En 1888, il publie son livre le plus connu, Istar, se pârant du titre de « Sâr » et du prénom babylonien « Mérodack ». Il se décrit « drapé d'un burnous noir en poil de chameau filamenté de fils d'or, en velours vieux bleu, botté de daim, et, comme Absalon, chevelu [...] la barbe ointe d'huile de cèdre. » Sans fausse modestie, il affirme : « J'ai conquis, à force de talents, peut-être de génie, le droit de ma pensée pleine, entière, et devant tous. J'ai six mille nuits durant valeureusement aimé la langue française ; je puis tout dire en français. J'y suis burgrave sans vasselage. » Parmi ses autres pseudonymes, on trouve aussi Anna I. Dinska, Miss Sarah et Marquis de Valognes.
Quand il se prend de passion pour Wagner, il débarque à Bayreuth vêtu d'un habit blanc, d'une tunique bleu ciel, d'un jabot de dentelle et de bottes de daim, avec un parapluie retenu au côté par un baudrier. Si la veuve de Wagner refuse de le recevoir en cet équipage, cela ne l'empêche pas de publier les opéras de Wagner en français avec ses annotations « en matière de thérapeutique pour désintoxiquer la France de son matérialisme ».
En 1888, Péladan est le co-fondateur avec Stanislas de Guaita de l'Ordre Kabbalistique de la Rose-Croix. Parmi les membres de l'Ordre, on peut relever quelques noms passés à la posterité : Papus, Charles Barlet. Prétextant un refus de la magie opérative, il se sépare du groupe en 1891 pour fonder l'Ordre de la Rose-Croix Catholique et esthétique du Temple et du Graal. L'année suivante, il organise le premier Salon de la Rose-Croix, du 10 mars au 10 avril, à la galerie Durand-Ruel : « Ce jour, l'Idéal eut son temple et ses chevaliers, et nous, Macchabées du Beau, nous allâmes apporter à Notre-Dame, aux pieds de notre Suzerain Jésus, l'hommage du temple et l'agenouillement des Rose-Croix. » C'est un très grand succès. Soixante artistes y participent, parmi lesquels nombre de peintres et sculpteurs de talent (Hodler, Khnopff, Delville, Schwabe, Bourdelle, etc.) et 20 000 Parisiens dont le Tout-Paris mondain et artistique (Mallarmé, Zola, Verlaine, Gustave Moreau, etc.), viennent le visiter, au son du prélude de Parsifal et des Sonneries composées par Erik Satie et jouées aux trompettes. Plusieurs Salons de la Rose-Croix seront encore organisés par la suite. De nombreux artistes de talent y participeront de 1892 à 1897, dont plusieurs élèves de Gustave Moreau tels que Georges Rouault. Inégaux en partie parce que certains artistes invités ont craint d'y participer (Burne-Jones, Puvis de Chavannes, Gustave Moreau), ces salons restent un des événements majeurs de la dernière décennie du XIXe siècle : ils font figure pour le renouveau de l'idéalisme et témoignent d'une tendance vers le spirituel qui habitera les grands mouvements de l'art du début du XXe siècle.
Il ambitionnait d'extirper la laideur du monde moderne, s'opposant ainsi au matérialisme ambiant ; à ce titre, il est un porte-parole du mouvement symboliste. Il rédige plusieurs manifestes qui témoignent d'une grande culture artistique et une saisissante Réfutation esthétique de Taine qui accompagne son ouvrage majeur, L'Art idéaliste et mystique (Paris, 1894). Prônant une resacralisation de l'art et de la vie, Péladan opte délibérément pour un transfert du religieux vers l'art, dans la plus pure tradition baudelairienne. Son ton, les symboles choisis pour la Rose+Croix, ne relèvent plus vraiment d'un ésotérisme qu'on a souvent caricaturé, mais témoignent d'une volonté de s'opposer au trivial et inaugurent une pratique « publicitaire » que les avant-gardes exploiteront abondamment par la suite. Si Péladan utilise un ton souvent polémique ou lyrique, révélateur de son caractère passionné, c'est au service de convictions sincères et d'une défense de la grandeur de l'art qu'il estime prostitué sous une Troisième République souvent mercantile.
Il s'essaye au théâtre avec Babylone (1895), Le Fils des étoiles (1895), Le Prince de Byzance (1896), puis une trilogie, La Prométhéide, qui se voulait la suite du Prométhée d'Eschyle. Ces tragédies mêlant peinture, musique, Babylone et Jésus-Christ dans une ambition de théâtre total avant la lettre, remportent des succès très variables. Certaines sont ignorées, d'autres constituent un événement marquant comme lors des représentations organisées dans les arènes de Nîmes en 1904 avec Sémiramis. Il produit d'innombrables plaquettes de critique d'art, contribuant à faire connaître en France l'œuvre de Léonard de Vinci, publiant un opuscule très fin intitulé De l'androgyne. Ses textes critiques, éloquents autant que richement documentés, tout comme ses romans, tels que le cycle de La Décadence latine, mêlent propos parfois décevants et vraies fulgurances. La métaphysique et le débat esthétique y sont le ressort principal, dans une langue riche et éloquente.
En définitive, le contexte de la fin de siècle s'éloignant, Joséphin,Péladan renonce à ses outrances vestimentaires et vit dans la vénération de sa seconde femme, Christiane Taylor, vivant péniblement de critiques d'art « que l'ancienne ironie des badauds empêchait de remarquer » (Henry Bordeaux). En 1908, il reçoit le prix Charles Blanc de l'Académie française. Il meurt en 1918, presque oublié.
Cent ans après l'action et les écrits de Péladan, le « Sâr » fait pourtant toujours parler de lui : son enthousiasme, la justesse de ses propos et de ses jugements artistiques, son dandysme revendiqué (« l'art de la kaloprosopie », théorisé dans L'Art idéaliste et mystique), son action spectaculaire avec les Salons de la Rose+Croix, s'inscrivent dans une logique littéraire, philosophique et esthétique d'une grande cohérence et reflètent des débats essentiels pour l'art et l'esprit d'une époque.
Péladan vu par ses contemporains
Péladan, dont le savoir était plus brillant que solide, ne tarda pas à se dérober aux discussions qui le mettaient sur la sellette. (...) Il était alors grisé par le succès de son Vice Suprème et par la curiosité qu'il éveillait dans les salons, où il s'attachait à faire sensation. Le titre de Mage ne lui suffisant plus, il se promut Sâr, ce qui signifie Roi en assyrien. »
« Il était parfumé des sept parfums correspondant aux sept planètes, mais où dominait impérieusement l'eucalyptus. Un large col de dentelles sans cravate entourait son cou, mais s'échancrait assez pour recevoir un gros bouquet de violettes; ses gants de peau grise avaient des baguettes mauves à rehauts d'or. »
Œuvres
* Le Vice suprême, roman, 1884
* Curieuse, 1885
* Femme honnetes !, 1885
* Autour du péché, 1885
* La Décadence latine, éthopée, 1890-1893 Texte en ligne : 3. L'initiation sentimentale 4. À cœur perdu 5. Istar 12. Le dernier Bourbon 15. Pereat ! 19. Le nimbe noir
* Cœur en peine, 1890
* Le Prochain Conclave ; instructions aux cardinaux, 1890
* Comment on devient mage, 1891
* L'Androgyne, 1891
* La Gynandre, 1891
* La Typhonia, 1892
* Le Panthée, 1892
* La Queste du Graal, 1892 Texte en ligne
* Geste esthétique, catalogue du salon de la Rose † Croix, 10 mars au 10 avril 1892, Galeries Durand-Ruel, 1892
* Amphithéâtre des sciences mortes, 1892-1911 Texte en ligne : L'occulte catholique : mystique Traité des antinomies : métaphysique Comment on devient mage : éthique Le livre du sceptre : politique La science de l'amour Comment on devient artiste : esthétique Comment on devient fée : érotique
* Constitution de la Rose-Croix : le Temple et le Graal, 1893
* Le Theatre complet de Wagner. Les XI opéras scène par scène avec notes biographiques et critiques, 1894
* L'Art idéaliste et mystique : doctrine de l'ordre et du salon annuel des Rose + Croix , 1894
* Babylone, tragédie, 1895
* Mélusine, 1895
* La Science, la Religion et la Conscience : réponse à MM. Berthelot, Brunetière, Poincaré, Perrier, Brisson, de Rosny et de Sarrachaga, 1895
* Le Fils des étoiles, 1895
* Le Dernier Bourbon, tragédie, 1895
* Le Livre du sceptre : politique, 1895
* La Prométhéide, trilogie d'Eschyle en quatre tableaux, 1895
* Le Prince de Byzance, tragédie, 1896
* Œdipe et le Sphinx, tragédie en prose, 1903
* Sémiramis, tragédie en prose, 1904
* La Dernière Leçon de Léonard de Vinci, essai, 1904
* La Clé de Rabelais, 1905
* De Parsifal à don Quichotte, essai, 1906
* Réfutation esthétique de Taine, 1906
* Introduction à l'esthétique : les idées et les formes, 1907
* La Doctrine de Dante, 1908
* La Philosophie de Léonard de Vinci d'après ses manuscrits, essai, 1910 (rééd. Stalker, 2007)
* De l'Androgyne. Théorie plastique, essai, 1910
* Les Amants de Pise : les drames de la conscience, 1913
Biographie
Issu d'une famille de cultivateurs et de commerçants, Joseph-Aimé Péladan, qui se donnera plus tard le prénom de Joséphin, est le fils de Louis-Adrien Péladan, journaliste à La France littéraire, fondateur de La Semaine religieuse, mystique exalté et confus, et de Joséphine Vaquier. Son frère aîné, Adrien, qui deviendra médecin et érudit, l'instruit très tôt de toutes sortes de connaissances et, dès l'enfance, il voyage, à Avignon ou à Nîmes. Il manifeste un esprit indépendant qui lui vaut d'être renvoyé du lycée pour avoir traité un professeur d'athée, puis du petit séminaire de Nîmes.
Il entre comme employé au crédit Faillelle à Paris. Il voyage à Rome et à Florence où il se prend de passion pour le Quattrocento et pour Léonard de Vinci. De retour à Paris, il publie une nouvelle, Le Chemin de Damas, et entre à L'Artiste d'Arsène Houssaye où il rédige des critiques d'art. Il rencontre Léon Bloy et Paul Bourget et enthousiasme Jules Barbey d'Aurevilly qui préface son roman Le Vice suprême en 1884. Ce livre pétri de romantisme et d'occultisme, qui met en scène la lutte de forces secrètes qui s'acharnent à détruire l'humanité, prend résolument le contre-pied du naturalisme de Zola « ce porc-zola, ce pourceau qui est en même temps un âne ». Ce manifeste ouvre les portes des cénacles littéraires au jeune auteur de 26 ans. Son originalité plaît mais son exaltation fait sourire. Jean Lorrain le surnomme « le pélican blanc ». Plus tard on l'appellera « le Mage d'Épinal », « Platon du Terrail » ou « le Sâr pédalant ». Rodolphe Salis alla jusqu'à oser un très cruel « Artaxerfesse », ce qui lui valut des poursuites de l'intéressé. Il se fâche avec Léon Bloy, passe deux jours en prison pour avoir négligé de régulariser sa situation militaire et se met à publier un très grand nombre de textes.
En 1888, il publie son livre le plus connu, Istar, se pârant du titre de « Sâr » et du prénom babylonien « Mérodack ». Il se décrit « drapé d'un burnous noir en poil de chameau filamenté de fils d'or, en velours vieux bleu, botté de daim, et, comme Absalon, chevelu [...] la barbe ointe d'huile de cèdre. » Sans fausse modestie, il affirme : « J'ai conquis, à force de talents, peut-être de génie, le droit de ma pensée pleine, entière, et devant tous. J'ai six mille nuits durant valeureusement aimé la langue française ; je puis tout dire en français. J'y suis burgrave sans vasselage. » Parmi ses autres pseudonymes, on trouve aussi Anna I. Dinska, Miss Sarah et Marquis de Valognes.
Quand il se prend de passion pour Wagner, il débarque à Bayreuth vêtu d'un habit blanc, d'une tunique bleu ciel, d'un jabot de dentelle et de bottes de daim, avec un parapluie retenu au côté par un baudrier. Si la veuve de Wagner refuse de le recevoir en cet équipage, cela ne l'empêche pas de publier les opéras de Wagner en français avec ses annotations « en matière de thérapeutique pour désintoxiquer la France de son matérialisme ».
En 1888, Péladan est le co-fondateur avec Stanislas de Guaita de l'Ordre Kabbalistique de la Rose-Croix. Parmi les membres de l'Ordre, on peut relever quelques noms passés à la posterité : Papus, Charles Barlet. Prétextant un refus de la magie opérative, il se sépare du groupe en 1891 pour fonder l'Ordre de la Rose-Croix Catholique et esthétique du Temple et du Graal. L'année suivante, il organise le premier Salon de la Rose-Croix, du 10 mars au 10 avril, à la galerie Durand-Ruel : « Ce jour, l'Idéal eut son temple et ses chevaliers, et nous, Macchabées du Beau, nous allâmes apporter à Notre-Dame, aux pieds de notre Suzerain Jésus, l'hommage du temple et l'agenouillement des Rose-Croix. » C'est un très grand succès. Soixante artistes y participent, parmi lesquels nombre de peintres et sculpteurs de talent (Hodler, Khnopff, Delville, Schwabe, Bourdelle, etc.) et 20 000 Parisiens dont le Tout-Paris mondain et artistique (Mallarmé, Zola, Verlaine, Gustave Moreau, etc.), viennent le visiter, au son du prélude de Parsifal et des Sonneries composées par Erik Satie et jouées aux trompettes. Plusieurs Salons de la Rose-Croix seront encore organisés par la suite. De nombreux artistes de talent y participeront de 1892 à 1897, dont plusieurs élèves de Gustave Moreau tels que Georges Rouault. Inégaux en partie parce que certains artistes invités ont craint d'y participer (Burne-Jones, Puvis de Chavannes, Gustave Moreau), ces salons restent un des événements majeurs de la dernière décennie du XIXe siècle : ils font figure pour le renouveau de l'idéalisme et témoignent d'une tendance vers le spirituel qui habitera les grands mouvements de l'art du début du XXe siècle.
Il ambitionnait d'extirper la laideur du monde moderne, s'opposant ainsi au matérialisme ambiant ; à ce titre, il est un porte-parole du mouvement symboliste. Il rédige plusieurs manifestes qui témoignent d'une grande culture artistique et une saisissante Réfutation esthétique de Taine qui accompagne son ouvrage majeur, L'Art idéaliste et mystique (Paris, 1894). Prônant une resacralisation de l'art et de la vie, Péladan opte délibérément pour un transfert du religieux vers l'art, dans la plus pure tradition baudelairienne. Son ton, les symboles choisis pour la Rose+Croix, ne relèvent plus vraiment d'un ésotérisme qu'on a souvent caricaturé, mais témoignent d'une volonté de s'opposer au trivial et inaugurent une pratique « publicitaire » que les avant-gardes exploiteront abondamment par la suite. Si Péladan utilise un ton souvent polémique ou lyrique, révélateur de son caractère passionné, c'est au service de convictions sincères et d'une défense de la grandeur de l'art qu'il estime prostitué sous une Troisième République souvent mercantile.
Il s'essaye au théâtre avec Babylone (1895), Le Fils des étoiles (1895), Le Prince de Byzance (1896), puis une trilogie, La Prométhéide, qui se voulait la suite du Prométhée d'Eschyle. Ces tragédies mêlant peinture, musique, Babylone et Jésus-Christ dans une ambition de théâtre total avant la lettre, remportent des succès très variables. Certaines sont ignorées, d'autres constituent un événement marquant comme lors des représentations organisées dans les arènes de Nîmes en 1904 avec Sémiramis. Il produit d'innombrables plaquettes de critique d'art, contribuant à faire connaître en France l'œuvre de Léonard de Vinci, publiant un opuscule très fin intitulé De l'androgyne. Ses textes critiques, éloquents autant que richement documentés, tout comme ses romans, tels que le cycle de La Décadence latine, mêlent propos parfois décevants et vraies fulgurances. La métaphysique et le débat esthétique y sont le ressort principal, dans une langue riche et éloquente.
En définitive, le contexte de la fin de siècle s'éloignant, Joséphin,Péladan renonce à ses outrances vestimentaires et vit dans la vénération de sa seconde femme, Christiane Taylor, vivant péniblement de critiques d'art « que l'ancienne ironie des badauds empêchait de remarquer » (Henry Bordeaux). En 1908, il reçoit le prix Charles Blanc de l'Académie française. Il meurt en 1918, presque oublié.
Cent ans après l'action et les écrits de Péladan, le « Sâr » fait pourtant toujours parler de lui : son enthousiasme, la justesse de ses propos et de ses jugements artistiques, son dandysme revendiqué (« l'art de la kaloprosopie », théorisé dans L'Art idéaliste et mystique), son action spectaculaire avec les Salons de la Rose+Croix, s'inscrivent dans une logique littéraire, philosophique et esthétique d'une grande cohérence et reflètent des débats essentiels pour l'art et l'esprit d'une époque.
Péladan vu par ses contemporains
Péladan, dont le savoir était plus brillant que solide, ne tarda pas à se dérober aux discussions qui le mettaient sur la sellette. (...) Il était alors grisé par le succès de son Vice Suprème et par la curiosité qu'il éveillait dans les salons, où il s'attachait à faire sensation. Le titre de Mage ne lui suffisant plus, il se promut Sâr, ce qui signifie Roi en assyrien. »
« Il était parfumé des sept parfums correspondant aux sept planètes, mais où dominait impérieusement l'eucalyptus. Un large col de dentelles sans cravate entourait son cou, mais s'échancrait assez pour recevoir un gros bouquet de violettes; ses gants de peau grise avaient des baguettes mauves à rehauts d'or. »
Œuvres
* Le Vice suprême, roman, 1884
* Curieuse, 1885
* Femme honnetes !, 1885
* Autour du péché, 1885
* La Décadence latine, éthopée, 1890-1893 Texte en ligne : 3. L'initiation sentimentale 4. À cœur perdu 5. Istar 12. Le dernier Bourbon 15. Pereat ! 19. Le nimbe noir
* Cœur en peine, 1890
* Le Prochain Conclave ; instructions aux cardinaux, 1890
* Comment on devient mage, 1891
* L'Androgyne, 1891
* La Gynandre, 1891
* La Typhonia, 1892
* Le Panthée, 1892
* La Queste du Graal, 1892 Texte en ligne
* Geste esthétique, catalogue du salon de la Rose † Croix, 10 mars au 10 avril 1892, Galeries Durand-Ruel, 1892
* Amphithéâtre des sciences mortes, 1892-1911 Texte en ligne : L'occulte catholique : mystique Traité des antinomies : métaphysique Comment on devient mage : éthique Le livre du sceptre : politique La science de l'amour Comment on devient artiste : esthétique Comment on devient fée : érotique
* Constitution de la Rose-Croix : le Temple et le Graal, 1893
* Le Theatre complet de Wagner. Les XI opéras scène par scène avec notes biographiques et critiques, 1894
* L'Art idéaliste et mystique : doctrine de l'ordre et du salon annuel des Rose + Croix , 1894
* Babylone, tragédie, 1895
* Mélusine, 1895
* La Science, la Religion et la Conscience : réponse à MM. Berthelot, Brunetière, Poincaré, Perrier, Brisson, de Rosny et de Sarrachaga, 1895
* Le Fils des étoiles, 1895
* Le Dernier Bourbon, tragédie, 1895
* Le Livre du sceptre : politique, 1895
* La Prométhéide, trilogie d'Eschyle en quatre tableaux, 1895
* Le Prince de Byzance, tragédie, 1896
* Œdipe et le Sphinx, tragédie en prose, 1903
* Sémiramis, tragédie en prose, 1904
* La Dernière Leçon de Léonard de Vinci, essai, 1904
* La Clé de Rabelais, 1905
* De Parsifal à don Quichotte, essai, 1906
* Réfutation esthétique de Taine, 1906
* Introduction à l'esthétique : les idées et les formes, 1907
* La Doctrine de Dante, 1908
* La Philosophie de Léonard de Vinci d'après ses manuscrits, essai, 1910 (rééd. Stalker, 2007)
* De l'Androgyne. Théorie plastique, essai, 1910
* Les Amants de Pise : les drames de la conscience, 1913
Source : Wikipédia
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Re: Joséphin Péladan
Joséphin Péladan
et
les Salons de la Rose+Croix
et
les Salons de la Rose+Croix
Depuis quelques mois, l'escalier d'honner du Château d'Omonville est décoré par une magnifique affiche. En 1892, les Parisiens pouvaient admirer cette affiche qui invitait les curieux à une manifestation publique de l'Ordre de la Rose-Croix : les «Salons de la Rose+Croix». En quoi consistaient ces mystérieux «Salons» et quelle est leur relation avec la Rose-Croix d'aujourd'hui ? C'est ce que nous vous proposons de découvrir en feuilletant quelques pages de l'histoire du Rosicrucianisme moderne. Au cours de cette étude, on assistera à la naissance de plusieurs mouvements se réclamant du Rosicrucianisme, tentatives sporadiques, le plus souvent sans lendemain, mais dont certaines ont cependant marqué l'histoire de l'ésotérisme occidental.
Spiritualité et modernité
A la fin du XIXe siècle, l'Occident s'émerveille des nouveaux pouvoirs que lui apportent la science et l'industrie. La science triomphe et l'homme sent qu'à l'approche du XXe siècle, la modernité va lui apporter le bonheur. Cependant, quelques esprits éclairés, philosophes, mystiques et artistes, s'inquiètent des perspectives qu'offre ce progrès. Cette tendance s'affirme particulièrement chez les Symbolistes, un mouvement artistique qui regroupe des artistes de toutes disciplines. Joséphin Péladan, qui se rangera du côté des Symbolistes, pose lui-même le problème en ces termes : «La vitesse matérielle accélère-t-elle la vie intérieure, et l'homme avec des ailes n'aura-t-il pas le même coeur et les mêmes peines ?».
Le XIXe siècle est aussi celui du réveil des Occultistes, qui veulent restaurer la sagesse du passé, voire même, comme Papus, en faire une science à l'égal de celles qu'on enseigne dans les universités. Joséphin Péladan se situe à la charnière des mouvements symboliste et occultiste. Artiste, il se place dans la mouvance des Symbolistes, et Occultiste, il se présente comme un initié de la Rose-Croix.
La Rose-Croix de Toulouse
Joséphin Péladan revendique le titre de Rosicrucien, mais comment devons-nous l'entendre et d'où lui vient cette filiation ? Il est né en 1858, à Lyon. Son père, Louis-Adrien, et son frère, sont passionnés par l'alchimie, le magnétisme, les arts, les sciences, la littérature et la mystique chrétienne. C'est à son frère Adrien (1815-1890), l'un des premiers homéopathes français, que Joséphin doit sa formation mystique et son entrée dans la Rose-Croix. Adrien avait lui-même reçu "l'accolade Rose+Cruxienne" de Firmin Boissin (1835-1893), «membre de la dernière branche de l'Ordre, celle de Toulouse, Commandeur de la Rose-Croix du Temple, Prieur de Toulouse et doyen du Conseil des quatorze».
A cette branche toulousaine de la Rose-Croix appartenait également le vicomte Louis-Charles-Edouard de Lapasse (1792-1867), un alchimiste toulousain présenté comme un élève du prince Balbiani de Palerme, prétendu disciple de Cagliostro. Sur cette branche rosicrucienne, il n'existe aucune information. Il semble, à lire ce qu'en disent le vicomte de Lapasse, Firmin Boissin ou Joséphin Péladan, qu'il s'agissait, non pas d'un groupe organisé, mais d'individus isolés. Sur cette filiation hypothétique, nous nous contenterons de souligner qu'il n'y a aucun point commun entre les Ordres fondés d'un côté par Cagliostro, et de l'autre par Joséphin Péladan. Existe- t-il un lien entre ces Rosicruciens et ceux qui reçurent Harvey Spencer Lewis en 1909 à Toulouse? Nous l'ignorons.
Le critique d'art
En 1884, Péladan part à la conquête de Paris en publiant «Le Vice supreme», premier roman de l'époque où apparaissent des thèmes occultistes. Cet ouvrage, qui comporte une préface de Barbey d'Aurevilly, connaît un succès rapide et lui assure immédiatement la célébrité. Péladan est avant tout passionné par les arts. Il participe à de nombreuses revues artistiques de la fin du XIXe siècle, comme «La Plume», «Le Mercure de France», «La Gazette artistique» (revue qui existe encore), ainsi que «Studio», une revue internationale lue par l'élite intellectuelle de l'époque. Il collabore aussi à «L'Artiste», premier journal français exclusivement consacré à l'art. Théophile Gautier en fut le rédacteur en chef et les articles y étaient signés des plus grands noms de l'époque: Blanc, Baudelaire, les Goncourt, Huysmans. Péladan assura pour cette revue la critique des Salons pendant quatorze ans. Parallèlement à ses romans et à ses livres d'occultisme, Joséphin consacrera plusieurs études aux peintres comme Rembrandt, Dürer, Herbert, Frans Hals, etc. Son ouvrage, «Léonard de Vinci, textes choisis», lui valut le prix Charles Blanc de l'Académie française.
L'Ordre Kabbalistique de la Rose-Croix
A Paris, Joséphin fait la connaissance de Stanislas de Guaita. Comme le révèle l'étude de la correspondance entre les deux hommes, c'est la lecture du «Vice suprême» qui conduira Stanislas de Guaita à l'étude de l'ésotérisme. Ce dernier ne disait-il pas : «Je n'oublierai jamais ceci : que je dois à votre livre d'avoir entrepris l'étude de la Science hermétique»(4) La rencontre des deux hommes fait naître un projet : rénover l'Ordre de la Rose-Croix, qui, selon S. de Guaita, était alors sur le point de s'éteindre (fin de l'année 1887). Ensemble, ils décident de restaurer l'Ordre, en l'affermissant sur des bases nouvelles. Ils fondent un Ordre "extérieur", «l'Ordre Kabbalistique de la Rose-Croix». Grâce à l'aide de Papus, cet Ordre connaît un développement rapide.
Cependant, des divergences de points de vue voient rapidement le jour. Papus veut ouvrir grandes les portes de l'Ordre et lui donner de l'extension, ce que Péladan ne souhaite pas. Celui-ci reproche aussi à Papus son goût trop prononcé pour l'occultisme et la magie, ainsi que sa sympathie pour la Franc-Maçonnerie. Enfin, il ne supporte pas l'éclectisme religieux de Papus, qui mettait au même niveau le Christianisme et les autres religions. En novembre 1890, c'est la séparation, et le 17 février 1891, Péladan adresse à Papus une lettre de rupture qui sera publiée dans le numéro d'avril de la revue "L'Initiation". Péladan gardera un souvenir peiné de cette collaboration avec Papus. Il dira un peu plus tard: «J'ai été renié par les occultistes et traité de littérateur et d'ignare pour un acte d'honnêteté: la dénonciation, comme irrationnelle ou coupable, de la magie cérémonielle. Ce que l'on ne peut demander à Dieu, il ne faut pas le demander du tout, car c'est une injustice. Ce qu'on ne peut pas faire raisonnablement, humainement, il ne faut pas le tenter».
Il ne souhaite pas en rester là. Héritier d'une tradition qu'il considère en train d'échapper à sa mission, il décide de créer en mai 1891 «L'Ordre de la Rose+Croix Catholique», dont il avait déjà tracé l'esquisse dans son premier roman en 1884. En juin, il se présente comme étant le Grand Maître de cet Ordre sous le nom de Sâr Mérodack Péladan. Sa création donne naissance à plusieurs articles dans «Le Figaro». Cette large publicité vexe profondément Papus et ses amis qui dénoncent le schisme de Péladan.
Les Salons de la Rose+Croix
En réalité, l'Ordre fondé par Péladan prit le nom d'«Ordre de la Rose+Croix du Temple et du Graal». et sera défini par son créateur comme «une Confrérie de charité intellectuelle; il est consacré à l'accomplissement des oeuvres de miséricorde selon le Saint-Esprit, dont il s'efforce d'augmenter la Gloire et de préparer le Règne». Son but est de restaurer en toute splendeur le culte de l'Idéal, avec la Tradition pour base et la Beauté pour moyen. Péladan juge la civilisation latine en état de dégénérescence. Pour lui, seule la magie de l'art peut encore sauver l'Occident d'un désastre imminent. Il voit dans l'art un instrument propre à inverser la tendance. L'activité essentielle de l'Ordre de la Rose+Croix du Temple et du Graal est donc consacrée à l'organisation d'expositions et de soirées dédiées aux beaux-arts.
Le Salon de la Rose+Croix organisé du 10 mars au 10 avril 1892 est son premier «geste esthétique». Péladan convie tous les artistes de son époque à exposer aux Salons rosicruciens par un mandement publié dans "Le Figaro". Il demande à un artiste dont il a déjà remarqué le talent de composer l'affiche de cette première. Celle-ci, réalisée dans une tonalité de bleu, évoque le rêve. Elle suggère la hiérarchie ternaire de l'humanité au travers de trois figures féminines. La première est enchaînée dans des eaux fangeuses et regarde un escalier décoré de lys blancs et de roses, qui monte vers la lumière. Cette première femme représente l'humanité aspirant à une vie meilleure, mais enchaînée au monde de la matière. La seconde vient de se dégager de ses chaînes et monte la première marche de l'escalier. Elle figure l'initié en chemin vers l'Illumination. La troisième, transparente de lumière, reçoit dans sa main un coeur descendant du ciel. Elle représente la maîtrise de celui qui est relié au Divin.
Le Symbolisme
L'époque où les Salons de la Rose-Croix ouvrent leurs portes est en pleine effervescence artistique. Nous sommes au coeur de ce qu'on appelle dans l'histoire de l'art le «Symbolisme». Influencés par les idées de celui que Balzac appelle «le Bouddha du Nord», E. Swedenborg, les Symbolistes veulent devenir les mystiques de l'art. A cette époque, les peintres s'opposent au réalisme académique et beaucoup de salons privés s'installent en marge des manifestations officielles. Parmi ceux-là, les Salons de la Rose+Croix ne passèrent pas inaperçus, et si vous avez la curiosité de consulter une encyclopédie ou un ouvrage sur la peinture consacré à cette époque, vous serez surpris d'y voir figurer le nom de la Rose-Croix.
Les Salons de la Rose-Croix s'inscrivent dans le mouvement Symboliste. Le Sâr, à l'image de John Ruskin pour les Préraphaélites anglais, se donne le rôle de mentor des peintres symbolistes. Il veut ruiner le réalisme et réformer le goût latin en créant un mouvement d'art idéaliste. Péladan a toujours eu une profonde aversion pour les Impressionnistes. Il n'est pas le seul dans ce cas. En effet, les Symbolistes ont deux «bêtes noires»: les Impressionnistes, qu'ils jugent "bas de plafond", et Emile Zola, dont l'oeuvre célèbre selon eux le vice, l'argent et la machine. L'affiche du cinquième Salon de la Rose+Croix, réalisée par Armand Point et Léonard Sarluys, est significative de cette position, car elle représente l'Idéal sous la forme de Persée brandissant la tête de Zola.
L'art idéal
La théorie de Péladan sur l'art dérive de sa formule rosicrucienne: «Il n'y a pas d'autre vérité que Dieu, il n'y a pas d'autre beauté que Dieu.»(10) L'art est la recherche de Dieu par la beauté. Dans son ouvrage «Comment on devient artiste», il développe l'ensemble de sa théorie sur l'esthétique. Pour lui, la mission de l'art est d'ordre divin. L'art se doit, au même office que la religion, de magnifier l'élément divin et d'y faire participer autrui. La beauté résulte d'une équation entre la vue et la vision.
L'oeuvre parfaite est celle qui réunit toutes les perfections. Il ne suffit pas qu'elle satisfasse seulement l'intellect, il faut également qu'elle soit, pour celui qui la contemple, un tremplin qui permette l'élévation de l'âme. Péladan qualifie l'homme «d'animal artistique»; il y a chez l'homme, dit-il, un attrait irrésistible vers le beau. Cette recherche du beau est motivée par la nostalgie d'une harmonie perdue que l'homme recherche instinctivement en toutes choses.
Dans son livre intitulé «L'Art idéaliste et mystique», Péladan invite l'artiste à une réflexion. Pour lui, l'artiste véritable est celui qui possède la faculté de sentir par la contemplation les qualités immatérielles des objets, qui réussit à capter l'influx céleste du Verbe Créateur: «Artiste... sais-tu que l'art descend du ciel, comme la vie coule du soleil ? Qu'il n'est pas de chef-d'oeuvre qui ne soit le reflet d'une idée éternelle ? Que ce que l'on nomme abstrait, peintre ou poète, le sais-tu? C'est un peu de Dieu même dedans une oeuvre. Apprends que si tu crées une forme parfaite, une âme viendra l'habiter, et quelle âme ! une parcelle de l'Archée...».
Les Magnifiques
C'est à cette quête que Péladan invite les artistes. Ceux qui souhaitent participer aux Salons ne sont pas tenus d'adhérer à l'Ordre de la Rose+Croix du Temple et du Graal. La condition unique de leur participation est que leurs oeuvres répondent aux caractéristiques générales d'un règlement sévère qui bannit certaines représentations: les scènes militaires ou historiques, les représentations d'animaux domestiques et les «accessoires et autres exercices que les peintres ont d'ordinaire l'insolence d'exposer»
La sélection est assurée par un jury dont les membres portent le titre de «Magnifiques». Il se compose de différentes personnalités dont les plus connues sont:
* le comte Antoine de la Rochefoucauld, qui est le financier des Salons (après le dernier Salon de la Rose+Croix, il deviendra le protecteur des peintres Nabis);
* le comte de Larmandie, «Commandeur de Geburah», qui est l'historiographe du mouvement et fut pendant longtemps secrétaire des gens de lettres en France;
* Elémir Bourges, de l'Académie Goncourt, écrivain dont certaines oeuvres, comme «La Nef», sont empreintes des idées du Sâr;
* Saint-Pol Roux, dit justement «le Magnifique», écrivain proclamé par les Surréalistes comme l'un des maîtres de l'art moderne, l'ensemble des oeuvres qu'il élabora sous le nom d'«Idéoréalisme» est emprunt de la philosophie rosicrucienne de Péladan;
* Gary de Lacroze, le «Commandeur de Tiphereth».
Le premier Salon de la Rose+Croix
Le premier Salon ouvre ses portes le 10 mars 1892, à la galerie Durant-Ruel, rue Lepelletier, à Paris. Soixante artistes ont répondu à l'appel lancé par Péladan, et le catalogue de l'exposition comprend 250 oeuvres. Rémy de Gourmont, dans sa chronique du «Mercure de France», qualifie ce Salon comme étant «la grande manifestation artistique de l'année». Malgré les critiques acerbes de la presse - il est vrai que les oeuvres exposées ne sont pas toutes à la hauteur de l'idéal souhaité par le Sâr -, le public afflue. La foule est si importante que la préfecture doit intervenir pour régler la circulation, car la rue est obstruée par les visiteurs attendant d'être admis dans la galerie qui, hélas, ne peut contenir que 200 personnes à la fois. Après la fermeture des portes, on compte 22 600 visiteurs. Le succès est considérable et la présence d'artistes étrangers lui donne un retentissement mondial.
Le Salon est inauguré avec cérémonial, sur une musique spécialement composée par Erik Satie, le compositeur officiel de l'Ordre. Les journées sont prolongées par les «Soirées de la Rose+Croix», consacrées à la musique et au théâtre. On y écoute des conférences de Péladan sur l'art et la mystique. La musique occupe une place importante; on peut écouter des oeuvres de Vincent d'Indy, de César Franck, de R. Wagner, de Palestrina, d'Erik Satie et de Benedictus. Joséphin Péladan rêvait de redonner au théâtre sa fonction antique de drame rituel, dont l'exemple le plus remarquable était selon lui les Mystères d'Eleusis, de la Grèce antique. Il écrivit lui-même quelques drames: «Le Prince de Byzance», «Babylone», et «Le Fils des étoiles», accompagné par une musique d'Erik Satie.
Les peintres
Parmi les nombreux artistes qui participèrent à ce Salon comme aux suivants, signalons:
* Luc-Olivier Merzon, plus connu du public pour avoir dessiné les célèbres billets de 50 F et de 100 F;
* Henri Martin, dont le désir d'expression mystique le rapproche parfois de Gustave Moreau (il existe des toiles de ce peintre dans la Salle des Illustres, au Capitole de Toulouse);
* Charles Filligier, qui exposa au Salon de 1892. (André Breton, qui possédait plusieurs de ses toiles, lui trouvait un accent précurseur du Surréalisme);
* Jean Delville, qui se lia d'amitié avec Péladan et sera le Consul de la Rose-Croix en Belgique, certaines de ses oeuvres étant inspirées des «Grands Initiés» d'E. Schuré;
* Aman-Jean, dont le tableau «La Jeune Fille au paon» eut un immense succès au Salon rosicrucien en 1895. (Il dessina l'affiche du Salon de 1893 et fut très lié avec J. Péladan et Mallarmé);
* Emile Bernard, l'ami de Toulouse-Lautrec et de Gauguin, qui rejoindra le groupe de Pont-Aven. (Il est considéré comme l'un des pères du Symbolisme);
* Georges de Feure, le plus élégant des Symbolistes, qui fut également un exquis décorateur de livres et de mobilier, et un créateur de l'Art Nouveau;
* Eugène Grasset, l'un des plus intéressants illustrateurs et propagateurs de l'Art Nouveau; - Ferdinand Hodler, dont le tableau «Les Las de vivre» eut beaucoup de succès au Salon rosicrucien;
* Fernand Khnopff, que Péladan considérait comme un maître: devenu son ami, il sera le premier disciple belge de Péladan, et lors du second Salon, il exposera sa célèbre toile inspirée d'un poème de C. Rossetti: «I lock my door upon myself». (Il sera également l'un des fondateurs du Groupe des XX);
* Carlos Schwabe, qui fut le dessinateur de l'affiche du premier Salon. (Après s'être éloigné de Péladan, il illustra magnifiquement «Le Rêve»de Zola). Parmi les 193 artistes qui exposèrent aux Salons (1892-1897), signalons Edgard Maxence, Félicien Rops, George Minne, Alphonse Osbert, Eugène Delacroix, Gaetano Previati, Alexandre Séon, Jan Toorop, Georges Rouault, Antoine Bourdelle.
L'hexade esthétique
Il y eut au total six Salons de la Rose+Croix. Chacun d'entre eux était placé sous les auspices d'un dieu chaldéen: Samas (Soleil) pour le premier, Nergal (Mars) pour le deuxième, Mérodack (Jupiter) pour le troisième, Nebo (Mercure) pour le quatrième, Istar (Vénus) pour l'avant-dernier et Sin (Lune) pour le sixième. Ce dernier Salon eut lieu dans la luxueuse galerie Georges-Petit en 1897. Cette galerie était la plus prestigieuse de Paris, et chacun de ses vernissages était un événement mondain. Devant l'affluence des demandes, on dut organiser un vernissage particulier pour les 191 critiques d'art et chroniqueurs. Le lendemain, 15.000 visiteurs défilèrent dans ce temple de l'art.
Après le sixième Salon, le Grand Maître prononça la mise en sommeil de l'Ordre. Il faut dire que les autorités, qui étaient très gênées par le succès répété de chaque Salon, faisaient tout ce qu'elles pouvaient pour empêcher les Rosicruciens d'organiser leurs Salons. Le directeur des bâtiments publics, M. Jules Comte, s'arrangeait pour qu'il n'y ait pas de salle disponible. «Je rends les armes», dira Péladan, «la formule d'art que j'ai défendue est maintenant admise partout, et pourquoi se souviendrait-on du guide qui a montré le gué, puisque le fleuve est passé».
Ce qui affecta le plus Péladan fut surtout l'absence des grands peintres symbolistes aux Salons rosicruciens. Surtout celle de Puvis de Chavannes, peintre qu'il estimait beaucoup et qui se désista au dernier moment. Celle de Burnes Jones, et celle également de Gustave Moreau, qui eut peur des humeurs de l'Institut mais incita ses élèves à participer au Salon. Péladan avait eu beaucoup à faire pour convaincre le public. Il faut dire que son excentricité, - il portait barbe et cheveux taillés à l'assyrienne, s'habillait de velours violet, de gilets pleins de dorures, portait un burnous en poils de chameau et chaussait des bottes de daim souple - avait de quoi surprendre. Ces manies vestimentaires, qui, chez lui, entraient dans une science qu'il appelait la «kaloprosopie», intéressaient beaucoup les journalistes qui ne manquaient pas de s'arrêter au costume pour dresser une caricature du personnage. En cette fin de siècle, nombreux étaient les artistes qui se plaisaient à porter des tenues extravagantes pour marquer leur refus d'une société bourgeoise.
L'apogée du Symbolisme
L'effort des Rosicruciens ne demeura pas vain, comme le précise Pierre Jullian: «Dans l'ensemble, les symbolistes, en dépit de quelques différences de métier, ne s'écartèrent pas trop des édits de Péladan: point d'anecdotes, de natures mortes, de paysages pittoresques; mais la peinture religieuse fut entièrement renouvelée.» Curieusement, en 1898, année qui suivit le dernier Salon rosicrucien, le mouvement symboliste commença à perdre de son influence. Cette année fut marquée par la mort de G. Moreau, de Puvis de Chavannes et de Burnes Jones. Quelque temps après la mise en sommeil de l'Ordre de la Rose+Croix du Temple et du Graal, c'est l'Ordre Kabbalistique de la Rose-Croix qui connaît des difficultés. Le 19 décembre 1897, Stanislas de Guaita meurt. F. Ch. Barlet lui succède. Malgré cela, Papus, qui estime que le titre lui revient, tente de détourner l'Ordre Kabbalistique de la Rose+Croix à son avantage. Barlet, après avoir tenté de trouver un accord avec J. Péladan pour réunifier la Rose-Croix, laissa l'Ordre Kabbalistique dans une telle inactivité qu'il s'éteindra de lui-même peu après.
Péladan avait chargé Jean Delville de poursuivre son oeuvre esthétique en Belgique. C'est ainsi qu'il y eut à Bruxelles une sorte de suite aux Salons de la Rose+Croix: «Le Salon d'art idéaliste». Mais quelques années plus tard, J. Delville choisit une autre voie en devenant en 1911 secrétaire général de la Société Théosophique pour la Belgique. En France, la revue des «Entretiens Idéalistes», fondée fin 1906 par Paul Vulliaud, admirateur de Péladan, tentera en 1907 de donner une suite aux Salons en créant l'«Exposition des peintres et sculpteurs idéalistes». De cette tentative sans lendemain naîtra la «Confrérie de la Rosace», fondée en mars 1908 par le frère Angel, qui oeuvrera dans le même esprit que Péladan, mais avec des moyens très modestes. Péladan ne s'intéressa d'ailleurs pas à ce groupe qui ne rassembla guère plus de quatre disciples. Cette confrérie organisera une première exposition en mai 1909, une deuxième en mai 1911 et une troisième en octobre 1912, puis cessera d'exister.
Joséphin Péladan écrivain
Après les Salons de la Rose+Croix, Péladan continua ses conférences sur l'art en France et en Europe. Son oeuvre littéraire devient plus importante, et même si ses oeuvres sont d'inégale valeur, on lui doit de magnifiques pages. Son oeuvre ne comportera pas moins de quatre-vingt-dix volumes, romans, pièces de théâtre(18), études sur l'art ou l'ésotérisme. Il est aussi l'auteur d'une multitude d'articles pour des revues artistiques. Trois de ses ouvrages seront couronnés par l'Académie française et en 1917, à une voix près, il faillit succéder à Octave Mirebeau à l'Académie Goncourt. Paul Verlaine lui trouvait un talent considérable et Anatole France voyait en lui un écrivain de race. D'autres, comme Alfred Jarry, Paul Valéry, André Breton, Raymond Queneau, Montherlant ou Kandinsky, appréciaient son oeuvre. Oublié du grand public, le Sâr Mérodack Péladan était devenu plus modeste.
Lorsqu'Alexandra David-Neel le rencontra plus tard au «Mercure de France», il n'était plus question de Sâr, mais simplement de Monsieur Joséphin Péladan. Il continua son activité littéraire jusqu'à sa mort, le 27 juin 1918.
La Rose-Croix en Belgique
L'Ordre de Péladan ne fut qu'une société initiatique restée à l'état de projet. Nous ne lui connaissons aucune loge ou temple autre que les Salons de peintures que le Sâr inaugurait à l'encensoir. Il se présente davantage comme une Confrérie que comme un Ordre conférant des initiations. En dehors d'un petit questionnaire que chaque postulant devait remplir avant d'être admis, nous ne lui connaissons aucun rituel. Les Symbolistes étaient très actifs en Belgique et Péladan eut souvent l'occasion de se rendre dans ce pays pour y donner des conférences. Le cercle artistique «Pour l'Art», animé par Jean Delville, était en relation directe avec Péladan, de même que le «Mouvement littéraire» de Raymond Nyst, qui était le Consul du Sâr à Bruxelles.
Emile Dantinne, après la mort de Péladan, se présentera comme un de ses disciples. Il ne revendiquera pas d'initiation venant du Sâr, mais une initiation venant de la Rose-Croix "astrale" ! E. Dantinne, qui rencontra Joséphin Péladan lors d'une conférence en Belgique, était fasciné par le Sâr. Il lui consacra un ouvrage où l'admiration cache souvent un manque d'objectivité.
C'est plus spécialement sous la forme d'un Ordre "pythagoricien", dont un jeune avocat, Jean Mallinger, fut l'organisateur sinon le créateur, que la Rose-Croix Belge fut active. La philosophie, les rites, les enseignements de ce groupe n'ont rien à voir avec l'Ordre institué par Joséphin Péladan. Ses rites de mise en relation avec les mondes élémentaires, son utilisation de pantacles et sa référence constante au pythagorisme sont à l'opposé des pratiques, de la symbolique et des préoccupations mystiques et artistiques prônées par Joséphin Péladan. Cet Ordre sans filiation sérieuse eut d'ailleurs toutes les peines du monde à faire admettre sa valeur. En butte aux critiques des disciples de Max Heindel, de Rudoplf Steiner, des Martinistes, des Franc-Maçons du rite Memphis-Misraïm, ainsi qu'à celles de la Société Théosophique, Jean Mallinger, pour avoir plus de poids, chercha à lier le mouvement belge à l'A.M.O.R.C., lequel possédait une structure internationale.
La F.U.D.O.S.I.
Le 11 janvier 1933, il écrivait à H. Spencer Lewis, sur les conseils de François Wittemans: «Nous serions très honorés de pouvoir nous affilier à l'éminent Ordre Rosicrucien, dont vous êtes le Chef et le Guide [...] nous serions très heureux de pouvoir collaborer aux activités de l'A.M.O.R.C...». De ce premier contact amorcé par Jean Mallinger, naîtra bientôt la F.U.D.O.S.I., une société qui tentera de fédérer les Ordres et Sociétés Initiatiques d'une manière universelle ! Spencer Lewis y prendra une part active entre 1934 et 1939. Emile Dantinne, sous le nom de Sâr Hiéronymus, servira de faire-valoir à quelques jeunes disciples belges avides de régenter le monde de l'ésotérisme à l'aune de leurs propres conceptions. Plus qu'Emile Dantinne, Jean Mallinger dirigeait les choses, mais son caractère s'adaptait mal avec une fédération regroupant des organisations ayant des méthodes et des enseignements différents. Après s'être brouillé avec Constant Chevillon, François Wittemans, Georges Lagrèze, Jean Chaboseau, Jules Boucher, puis Eugène Dupré, c'est à Ralph Maxwell Lewis qu'il s'en prit. La situation devint telle qu'il fut préférable de clore les activités de la F.U.D.O.S.I., cette dernière n'admettant plus dans ses rangs qu'un petit groupe de Belges. Cette fédération entra en sommeil le 14 août 1951.
Les Salons de la Rose-Croix aujourd'hui
Après avoir été pendant longtemps considéré comme un épisode mineur de l'histoire de la peinture, le Symbolisme connaît depuis quelques années une nouvelle vague d'intérêt. La récente exposition organisée par le musée des Beaux-Arts de Montréal a montré que son rayonnement ne fut pas limité à la France et à la Belgique, mais qu'on se trouve face à un phénomène beaucoup plus vaste dont on trouve des exemples jusqu'en Russie. Les Rosicruciens actuels s'intéressent toujours à l'art. Harvey Spencer Lewis, Imperador de l'A.M.O.R.C. de 1915 à 1939, était lui-même un peintre était lui-même un peintre remarquable. L'Ordre de la Rose-Croix A.M.O.R.C. procède d'une filiation initiatique différente de celle de J. Péladan. Même s'il ne partage pas touts les points de vue - souvent excessifs - du Sar Péladan, il a, depuis janvier 1982, remis en activité les «Salons de la Rose+Croix», dans le cadre de son Centre Culturel, rue Saint-Martin à Paris. Les expositions s'y succèdent maintenant depuis bientôt quinze ans et nous invitent à méditer sur la beauté et l'harmonie. Contrairement aux divers mouvements que nous venons d'évoquer dans cette étude, l'Ordre de la Rose-Croix A.M.O.R.C., dans son présent cycle d'activité, peut revendiquer près d'un siècle d'existence. A titre de comparaison, l'Ordre Kabbalistique de la Rose-Croix n'exista qu'une dizaine d'années, et cela d'une manière assez chaotique. Celui de Joséphin Péladan ne fut actif que le temps d'une hexade esthétique. L'Ordre de la Rose-Croix A.M.O.R.C. doit sa pérennité à l'universalité de son message, à l'universalité de son message, à l'efficacité de ses enseignements et de son organisation. Loin des sociétés qui se cachent derrière un secret le plus souvent inexistant, il se présente comme une société discrète, proposant un réel travail mystique permettant à l'homme de vivre la spiritualité dans le monde moderne.
Spiritualité et modernité
A la fin du XIXe siècle, l'Occident s'émerveille des nouveaux pouvoirs que lui apportent la science et l'industrie. La science triomphe et l'homme sent qu'à l'approche du XXe siècle, la modernité va lui apporter le bonheur. Cependant, quelques esprits éclairés, philosophes, mystiques et artistes, s'inquiètent des perspectives qu'offre ce progrès. Cette tendance s'affirme particulièrement chez les Symbolistes, un mouvement artistique qui regroupe des artistes de toutes disciplines. Joséphin Péladan, qui se rangera du côté des Symbolistes, pose lui-même le problème en ces termes : «La vitesse matérielle accélère-t-elle la vie intérieure, et l'homme avec des ailes n'aura-t-il pas le même coeur et les mêmes peines ?».
Le XIXe siècle est aussi celui du réveil des Occultistes, qui veulent restaurer la sagesse du passé, voire même, comme Papus, en faire une science à l'égal de celles qu'on enseigne dans les universités. Joséphin Péladan se situe à la charnière des mouvements symboliste et occultiste. Artiste, il se place dans la mouvance des Symbolistes, et Occultiste, il se présente comme un initié de la Rose-Croix.
La Rose-Croix de Toulouse
Joséphin Péladan revendique le titre de Rosicrucien, mais comment devons-nous l'entendre et d'où lui vient cette filiation ? Il est né en 1858, à Lyon. Son père, Louis-Adrien, et son frère, sont passionnés par l'alchimie, le magnétisme, les arts, les sciences, la littérature et la mystique chrétienne. C'est à son frère Adrien (1815-1890), l'un des premiers homéopathes français, que Joséphin doit sa formation mystique et son entrée dans la Rose-Croix. Adrien avait lui-même reçu "l'accolade Rose+Cruxienne" de Firmin Boissin (1835-1893), «membre de la dernière branche de l'Ordre, celle de Toulouse, Commandeur de la Rose-Croix du Temple, Prieur de Toulouse et doyen du Conseil des quatorze».
A cette branche toulousaine de la Rose-Croix appartenait également le vicomte Louis-Charles-Edouard de Lapasse (1792-1867), un alchimiste toulousain présenté comme un élève du prince Balbiani de Palerme, prétendu disciple de Cagliostro. Sur cette branche rosicrucienne, il n'existe aucune information. Il semble, à lire ce qu'en disent le vicomte de Lapasse, Firmin Boissin ou Joséphin Péladan, qu'il s'agissait, non pas d'un groupe organisé, mais d'individus isolés. Sur cette filiation hypothétique, nous nous contenterons de souligner qu'il n'y a aucun point commun entre les Ordres fondés d'un côté par Cagliostro, et de l'autre par Joséphin Péladan. Existe- t-il un lien entre ces Rosicruciens et ceux qui reçurent Harvey Spencer Lewis en 1909 à Toulouse? Nous l'ignorons.
Le critique d'art
En 1884, Péladan part à la conquête de Paris en publiant «Le Vice supreme», premier roman de l'époque où apparaissent des thèmes occultistes. Cet ouvrage, qui comporte une préface de Barbey d'Aurevilly, connaît un succès rapide et lui assure immédiatement la célébrité. Péladan est avant tout passionné par les arts. Il participe à de nombreuses revues artistiques de la fin du XIXe siècle, comme «La Plume», «Le Mercure de France», «La Gazette artistique» (revue qui existe encore), ainsi que «Studio», une revue internationale lue par l'élite intellectuelle de l'époque. Il collabore aussi à «L'Artiste», premier journal français exclusivement consacré à l'art. Théophile Gautier en fut le rédacteur en chef et les articles y étaient signés des plus grands noms de l'époque: Blanc, Baudelaire, les Goncourt, Huysmans. Péladan assura pour cette revue la critique des Salons pendant quatorze ans. Parallèlement à ses romans et à ses livres d'occultisme, Joséphin consacrera plusieurs études aux peintres comme Rembrandt, Dürer, Herbert, Frans Hals, etc. Son ouvrage, «Léonard de Vinci, textes choisis», lui valut le prix Charles Blanc de l'Académie française.
L'Ordre Kabbalistique de la Rose-Croix
A Paris, Joséphin fait la connaissance de Stanislas de Guaita. Comme le révèle l'étude de la correspondance entre les deux hommes, c'est la lecture du «Vice suprême» qui conduira Stanislas de Guaita à l'étude de l'ésotérisme. Ce dernier ne disait-il pas : «Je n'oublierai jamais ceci : que je dois à votre livre d'avoir entrepris l'étude de la Science hermétique»(4) La rencontre des deux hommes fait naître un projet : rénover l'Ordre de la Rose-Croix, qui, selon S. de Guaita, était alors sur le point de s'éteindre (fin de l'année 1887). Ensemble, ils décident de restaurer l'Ordre, en l'affermissant sur des bases nouvelles. Ils fondent un Ordre "extérieur", «l'Ordre Kabbalistique de la Rose-Croix». Grâce à l'aide de Papus, cet Ordre connaît un développement rapide.
Cependant, des divergences de points de vue voient rapidement le jour. Papus veut ouvrir grandes les portes de l'Ordre et lui donner de l'extension, ce que Péladan ne souhaite pas. Celui-ci reproche aussi à Papus son goût trop prononcé pour l'occultisme et la magie, ainsi que sa sympathie pour la Franc-Maçonnerie. Enfin, il ne supporte pas l'éclectisme religieux de Papus, qui mettait au même niveau le Christianisme et les autres religions. En novembre 1890, c'est la séparation, et le 17 février 1891, Péladan adresse à Papus une lettre de rupture qui sera publiée dans le numéro d'avril de la revue "L'Initiation". Péladan gardera un souvenir peiné de cette collaboration avec Papus. Il dira un peu plus tard: «J'ai été renié par les occultistes et traité de littérateur et d'ignare pour un acte d'honnêteté: la dénonciation, comme irrationnelle ou coupable, de la magie cérémonielle. Ce que l'on ne peut demander à Dieu, il ne faut pas le demander du tout, car c'est une injustice. Ce qu'on ne peut pas faire raisonnablement, humainement, il ne faut pas le tenter».
Il ne souhaite pas en rester là. Héritier d'une tradition qu'il considère en train d'échapper à sa mission, il décide de créer en mai 1891 «L'Ordre de la Rose+Croix Catholique», dont il avait déjà tracé l'esquisse dans son premier roman en 1884. En juin, il se présente comme étant le Grand Maître de cet Ordre sous le nom de Sâr Mérodack Péladan. Sa création donne naissance à plusieurs articles dans «Le Figaro». Cette large publicité vexe profondément Papus et ses amis qui dénoncent le schisme de Péladan.
Les Salons de la Rose+Croix
En réalité, l'Ordre fondé par Péladan prit le nom d'«Ordre de la Rose+Croix du Temple et du Graal». et sera défini par son créateur comme «une Confrérie de charité intellectuelle; il est consacré à l'accomplissement des oeuvres de miséricorde selon le Saint-Esprit, dont il s'efforce d'augmenter la Gloire et de préparer le Règne». Son but est de restaurer en toute splendeur le culte de l'Idéal, avec la Tradition pour base et la Beauté pour moyen. Péladan juge la civilisation latine en état de dégénérescence. Pour lui, seule la magie de l'art peut encore sauver l'Occident d'un désastre imminent. Il voit dans l'art un instrument propre à inverser la tendance. L'activité essentielle de l'Ordre de la Rose+Croix du Temple et du Graal est donc consacrée à l'organisation d'expositions et de soirées dédiées aux beaux-arts.
Le Salon de la Rose+Croix organisé du 10 mars au 10 avril 1892 est son premier «geste esthétique». Péladan convie tous les artistes de son époque à exposer aux Salons rosicruciens par un mandement publié dans "Le Figaro". Il demande à un artiste dont il a déjà remarqué le talent de composer l'affiche de cette première. Celle-ci, réalisée dans une tonalité de bleu, évoque le rêve. Elle suggère la hiérarchie ternaire de l'humanité au travers de trois figures féminines. La première est enchaînée dans des eaux fangeuses et regarde un escalier décoré de lys blancs et de roses, qui monte vers la lumière. Cette première femme représente l'humanité aspirant à une vie meilleure, mais enchaînée au monde de la matière. La seconde vient de se dégager de ses chaînes et monte la première marche de l'escalier. Elle figure l'initié en chemin vers l'Illumination. La troisième, transparente de lumière, reçoit dans sa main un coeur descendant du ciel. Elle représente la maîtrise de celui qui est relié au Divin.
Le Symbolisme
L'époque où les Salons de la Rose-Croix ouvrent leurs portes est en pleine effervescence artistique. Nous sommes au coeur de ce qu'on appelle dans l'histoire de l'art le «Symbolisme». Influencés par les idées de celui que Balzac appelle «le Bouddha du Nord», E. Swedenborg, les Symbolistes veulent devenir les mystiques de l'art. A cette époque, les peintres s'opposent au réalisme académique et beaucoup de salons privés s'installent en marge des manifestations officielles. Parmi ceux-là, les Salons de la Rose+Croix ne passèrent pas inaperçus, et si vous avez la curiosité de consulter une encyclopédie ou un ouvrage sur la peinture consacré à cette époque, vous serez surpris d'y voir figurer le nom de la Rose-Croix.
Les Salons de la Rose-Croix s'inscrivent dans le mouvement Symboliste. Le Sâr, à l'image de John Ruskin pour les Préraphaélites anglais, se donne le rôle de mentor des peintres symbolistes. Il veut ruiner le réalisme et réformer le goût latin en créant un mouvement d'art idéaliste. Péladan a toujours eu une profonde aversion pour les Impressionnistes. Il n'est pas le seul dans ce cas. En effet, les Symbolistes ont deux «bêtes noires»: les Impressionnistes, qu'ils jugent "bas de plafond", et Emile Zola, dont l'oeuvre célèbre selon eux le vice, l'argent et la machine. L'affiche du cinquième Salon de la Rose+Croix, réalisée par Armand Point et Léonard Sarluys, est significative de cette position, car elle représente l'Idéal sous la forme de Persée brandissant la tête de Zola.
L'art idéal
La théorie de Péladan sur l'art dérive de sa formule rosicrucienne: «Il n'y a pas d'autre vérité que Dieu, il n'y a pas d'autre beauté que Dieu.»(10) L'art est la recherche de Dieu par la beauté. Dans son ouvrage «Comment on devient artiste», il développe l'ensemble de sa théorie sur l'esthétique. Pour lui, la mission de l'art est d'ordre divin. L'art se doit, au même office que la religion, de magnifier l'élément divin et d'y faire participer autrui. La beauté résulte d'une équation entre la vue et la vision.
L'oeuvre parfaite est celle qui réunit toutes les perfections. Il ne suffit pas qu'elle satisfasse seulement l'intellect, il faut également qu'elle soit, pour celui qui la contemple, un tremplin qui permette l'élévation de l'âme. Péladan qualifie l'homme «d'animal artistique»; il y a chez l'homme, dit-il, un attrait irrésistible vers le beau. Cette recherche du beau est motivée par la nostalgie d'une harmonie perdue que l'homme recherche instinctivement en toutes choses.
Dans son livre intitulé «L'Art idéaliste et mystique», Péladan invite l'artiste à une réflexion. Pour lui, l'artiste véritable est celui qui possède la faculté de sentir par la contemplation les qualités immatérielles des objets, qui réussit à capter l'influx céleste du Verbe Créateur: «Artiste... sais-tu que l'art descend du ciel, comme la vie coule du soleil ? Qu'il n'est pas de chef-d'oeuvre qui ne soit le reflet d'une idée éternelle ? Que ce que l'on nomme abstrait, peintre ou poète, le sais-tu? C'est un peu de Dieu même dedans une oeuvre. Apprends que si tu crées une forme parfaite, une âme viendra l'habiter, et quelle âme ! une parcelle de l'Archée...».
Les Magnifiques
C'est à cette quête que Péladan invite les artistes. Ceux qui souhaitent participer aux Salons ne sont pas tenus d'adhérer à l'Ordre de la Rose+Croix du Temple et du Graal. La condition unique de leur participation est que leurs oeuvres répondent aux caractéristiques générales d'un règlement sévère qui bannit certaines représentations: les scènes militaires ou historiques, les représentations d'animaux domestiques et les «accessoires et autres exercices que les peintres ont d'ordinaire l'insolence d'exposer»
La sélection est assurée par un jury dont les membres portent le titre de «Magnifiques». Il se compose de différentes personnalités dont les plus connues sont:
* le comte Antoine de la Rochefoucauld, qui est le financier des Salons (après le dernier Salon de la Rose+Croix, il deviendra le protecteur des peintres Nabis);
* le comte de Larmandie, «Commandeur de Geburah», qui est l'historiographe du mouvement et fut pendant longtemps secrétaire des gens de lettres en France;
* Elémir Bourges, de l'Académie Goncourt, écrivain dont certaines oeuvres, comme «La Nef», sont empreintes des idées du Sâr;
* Saint-Pol Roux, dit justement «le Magnifique», écrivain proclamé par les Surréalistes comme l'un des maîtres de l'art moderne, l'ensemble des oeuvres qu'il élabora sous le nom d'«Idéoréalisme» est emprunt de la philosophie rosicrucienne de Péladan;
* Gary de Lacroze, le «Commandeur de Tiphereth».
Le premier Salon de la Rose+Croix
Le premier Salon ouvre ses portes le 10 mars 1892, à la galerie Durant-Ruel, rue Lepelletier, à Paris. Soixante artistes ont répondu à l'appel lancé par Péladan, et le catalogue de l'exposition comprend 250 oeuvres. Rémy de Gourmont, dans sa chronique du «Mercure de France», qualifie ce Salon comme étant «la grande manifestation artistique de l'année». Malgré les critiques acerbes de la presse - il est vrai que les oeuvres exposées ne sont pas toutes à la hauteur de l'idéal souhaité par le Sâr -, le public afflue. La foule est si importante que la préfecture doit intervenir pour régler la circulation, car la rue est obstruée par les visiteurs attendant d'être admis dans la galerie qui, hélas, ne peut contenir que 200 personnes à la fois. Après la fermeture des portes, on compte 22 600 visiteurs. Le succès est considérable et la présence d'artistes étrangers lui donne un retentissement mondial.
Le Salon est inauguré avec cérémonial, sur une musique spécialement composée par Erik Satie, le compositeur officiel de l'Ordre. Les journées sont prolongées par les «Soirées de la Rose+Croix», consacrées à la musique et au théâtre. On y écoute des conférences de Péladan sur l'art et la mystique. La musique occupe une place importante; on peut écouter des oeuvres de Vincent d'Indy, de César Franck, de R. Wagner, de Palestrina, d'Erik Satie et de Benedictus. Joséphin Péladan rêvait de redonner au théâtre sa fonction antique de drame rituel, dont l'exemple le plus remarquable était selon lui les Mystères d'Eleusis, de la Grèce antique. Il écrivit lui-même quelques drames: «Le Prince de Byzance», «Babylone», et «Le Fils des étoiles», accompagné par une musique d'Erik Satie.
Les peintres
Parmi les nombreux artistes qui participèrent à ce Salon comme aux suivants, signalons:
* Luc-Olivier Merzon, plus connu du public pour avoir dessiné les célèbres billets de 50 F et de 100 F;
* Henri Martin, dont le désir d'expression mystique le rapproche parfois de Gustave Moreau (il existe des toiles de ce peintre dans la Salle des Illustres, au Capitole de Toulouse);
* Charles Filligier, qui exposa au Salon de 1892. (André Breton, qui possédait plusieurs de ses toiles, lui trouvait un accent précurseur du Surréalisme);
* Jean Delville, qui se lia d'amitié avec Péladan et sera le Consul de la Rose-Croix en Belgique, certaines de ses oeuvres étant inspirées des «Grands Initiés» d'E. Schuré;
* Aman-Jean, dont le tableau «La Jeune Fille au paon» eut un immense succès au Salon rosicrucien en 1895. (Il dessina l'affiche du Salon de 1893 et fut très lié avec J. Péladan et Mallarmé);
* Emile Bernard, l'ami de Toulouse-Lautrec et de Gauguin, qui rejoindra le groupe de Pont-Aven. (Il est considéré comme l'un des pères du Symbolisme);
* Georges de Feure, le plus élégant des Symbolistes, qui fut également un exquis décorateur de livres et de mobilier, et un créateur de l'Art Nouveau;
* Eugène Grasset, l'un des plus intéressants illustrateurs et propagateurs de l'Art Nouveau; - Ferdinand Hodler, dont le tableau «Les Las de vivre» eut beaucoup de succès au Salon rosicrucien;
* Fernand Khnopff, que Péladan considérait comme un maître: devenu son ami, il sera le premier disciple belge de Péladan, et lors du second Salon, il exposera sa célèbre toile inspirée d'un poème de C. Rossetti: «I lock my door upon myself». (Il sera également l'un des fondateurs du Groupe des XX);
* Carlos Schwabe, qui fut le dessinateur de l'affiche du premier Salon. (Après s'être éloigné de Péladan, il illustra magnifiquement «Le Rêve»de Zola). Parmi les 193 artistes qui exposèrent aux Salons (1892-1897), signalons Edgard Maxence, Félicien Rops, George Minne, Alphonse Osbert, Eugène Delacroix, Gaetano Previati, Alexandre Séon, Jan Toorop, Georges Rouault, Antoine Bourdelle.
L'hexade esthétique
Il y eut au total six Salons de la Rose+Croix. Chacun d'entre eux était placé sous les auspices d'un dieu chaldéen: Samas (Soleil) pour le premier, Nergal (Mars) pour le deuxième, Mérodack (Jupiter) pour le troisième, Nebo (Mercure) pour le quatrième, Istar (Vénus) pour l'avant-dernier et Sin (Lune) pour le sixième. Ce dernier Salon eut lieu dans la luxueuse galerie Georges-Petit en 1897. Cette galerie était la plus prestigieuse de Paris, et chacun de ses vernissages était un événement mondain. Devant l'affluence des demandes, on dut organiser un vernissage particulier pour les 191 critiques d'art et chroniqueurs. Le lendemain, 15.000 visiteurs défilèrent dans ce temple de l'art.
Après le sixième Salon, le Grand Maître prononça la mise en sommeil de l'Ordre. Il faut dire que les autorités, qui étaient très gênées par le succès répété de chaque Salon, faisaient tout ce qu'elles pouvaient pour empêcher les Rosicruciens d'organiser leurs Salons. Le directeur des bâtiments publics, M. Jules Comte, s'arrangeait pour qu'il n'y ait pas de salle disponible. «Je rends les armes», dira Péladan, «la formule d'art que j'ai défendue est maintenant admise partout, et pourquoi se souviendrait-on du guide qui a montré le gué, puisque le fleuve est passé».
Ce qui affecta le plus Péladan fut surtout l'absence des grands peintres symbolistes aux Salons rosicruciens. Surtout celle de Puvis de Chavannes, peintre qu'il estimait beaucoup et qui se désista au dernier moment. Celle de Burnes Jones, et celle également de Gustave Moreau, qui eut peur des humeurs de l'Institut mais incita ses élèves à participer au Salon. Péladan avait eu beaucoup à faire pour convaincre le public. Il faut dire que son excentricité, - il portait barbe et cheveux taillés à l'assyrienne, s'habillait de velours violet, de gilets pleins de dorures, portait un burnous en poils de chameau et chaussait des bottes de daim souple - avait de quoi surprendre. Ces manies vestimentaires, qui, chez lui, entraient dans une science qu'il appelait la «kaloprosopie», intéressaient beaucoup les journalistes qui ne manquaient pas de s'arrêter au costume pour dresser une caricature du personnage. En cette fin de siècle, nombreux étaient les artistes qui se plaisaient à porter des tenues extravagantes pour marquer leur refus d'une société bourgeoise.
L'apogée du Symbolisme
L'effort des Rosicruciens ne demeura pas vain, comme le précise Pierre Jullian: «Dans l'ensemble, les symbolistes, en dépit de quelques différences de métier, ne s'écartèrent pas trop des édits de Péladan: point d'anecdotes, de natures mortes, de paysages pittoresques; mais la peinture religieuse fut entièrement renouvelée.» Curieusement, en 1898, année qui suivit le dernier Salon rosicrucien, le mouvement symboliste commença à perdre de son influence. Cette année fut marquée par la mort de G. Moreau, de Puvis de Chavannes et de Burnes Jones. Quelque temps après la mise en sommeil de l'Ordre de la Rose+Croix du Temple et du Graal, c'est l'Ordre Kabbalistique de la Rose-Croix qui connaît des difficultés. Le 19 décembre 1897, Stanislas de Guaita meurt. F. Ch. Barlet lui succède. Malgré cela, Papus, qui estime que le titre lui revient, tente de détourner l'Ordre Kabbalistique de la Rose+Croix à son avantage. Barlet, après avoir tenté de trouver un accord avec J. Péladan pour réunifier la Rose-Croix, laissa l'Ordre Kabbalistique dans une telle inactivité qu'il s'éteindra de lui-même peu après.
Péladan avait chargé Jean Delville de poursuivre son oeuvre esthétique en Belgique. C'est ainsi qu'il y eut à Bruxelles une sorte de suite aux Salons de la Rose+Croix: «Le Salon d'art idéaliste». Mais quelques années plus tard, J. Delville choisit une autre voie en devenant en 1911 secrétaire général de la Société Théosophique pour la Belgique. En France, la revue des «Entretiens Idéalistes», fondée fin 1906 par Paul Vulliaud, admirateur de Péladan, tentera en 1907 de donner une suite aux Salons en créant l'«Exposition des peintres et sculpteurs idéalistes». De cette tentative sans lendemain naîtra la «Confrérie de la Rosace», fondée en mars 1908 par le frère Angel, qui oeuvrera dans le même esprit que Péladan, mais avec des moyens très modestes. Péladan ne s'intéressa d'ailleurs pas à ce groupe qui ne rassembla guère plus de quatre disciples. Cette confrérie organisera une première exposition en mai 1909, une deuxième en mai 1911 et une troisième en octobre 1912, puis cessera d'exister.
Joséphin Péladan écrivain
Après les Salons de la Rose+Croix, Péladan continua ses conférences sur l'art en France et en Europe. Son oeuvre littéraire devient plus importante, et même si ses oeuvres sont d'inégale valeur, on lui doit de magnifiques pages. Son oeuvre ne comportera pas moins de quatre-vingt-dix volumes, romans, pièces de théâtre(18), études sur l'art ou l'ésotérisme. Il est aussi l'auteur d'une multitude d'articles pour des revues artistiques. Trois de ses ouvrages seront couronnés par l'Académie française et en 1917, à une voix près, il faillit succéder à Octave Mirebeau à l'Académie Goncourt. Paul Verlaine lui trouvait un talent considérable et Anatole France voyait en lui un écrivain de race. D'autres, comme Alfred Jarry, Paul Valéry, André Breton, Raymond Queneau, Montherlant ou Kandinsky, appréciaient son oeuvre. Oublié du grand public, le Sâr Mérodack Péladan était devenu plus modeste.
Lorsqu'Alexandra David-Neel le rencontra plus tard au «Mercure de France», il n'était plus question de Sâr, mais simplement de Monsieur Joséphin Péladan. Il continua son activité littéraire jusqu'à sa mort, le 27 juin 1918.
La Rose-Croix en Belgique
L'Ordre de Péladan ne fut qu'une société initiatique restée à l'état de projet. Nous ne lui connaissons aucune loge ou temple autre que les Salons de peintures que le Sâr inaugurait à l'encensoir. Il se présente davantage comme une Confrérie que comme un Ordre conférant des initiations. En dehors d'un petit questionnaire que chaque postulant devait remplir avant d'être admis, nous ne lui connaissons aucun rituel. Les Symbolistes étaient très actifs en Belgique et Péladan eut souvent l'occasion de se rendre dans ce pays pour y donner des conférences. Le cercle artistique «Pour l'Art», animé par Jean Delville, était en relation directe avec Péladan, de même que le «Mouvement littéraire» de Raymond Nyst, qui était le Consul du Sâr à Bruxelles.
Emile Dantinne, après la mort de Péladan, se présentera comme un de ses disciples. Il ne revendiquera pas d'initiation venant du Sâr, mais une initiation venant de la Rose-Croix "astrale" ! E. Dantinne, qui rencontra Joséphin Péladan lors d'une conférence en Belgique, était fasciné par le Sâr. Il lui consacra un ouvrage où l'admiration cache souvent un manque d'objectivité.
C'est plus spécialement sous la forme d'un Ordre "pythagoricien", dont un jeune avocat, Jean Mallinger, fut l'organisateur sinon le créateur, que la Rose-Croix Belge fut active. La philosophie, les rites, les enseignements de ce groupe n'ont rien à voir avec l'Ordre institué par Joséphin Péladan. Ses rites de mise en relation avec les mondes élémentaires, son utilisation de pantacles et sa référence constante au pythagorisme sont à l'opposé des pratiques, de la symbolique et des préoccupations mystiques et artistiques prônées par Joséphin Péladan. Cet Ordre sans filiation sérieuse eut d'ailleurs toutes les peines du monde à faire admettre sa valeur. En butte aux critiques des disciples de Max Heindel, de Rudoplf Steiner, des Martinistes, des Franc-Maçons du rite Memphis-Misraïm, ainsi qu'à celles de la Société Théosophique, Jean Mallinger, pour avoir plus de poids, chercha à lier le mouvement belge à l'A.M.O.R.C., lequel possédait une structure internationale.
La F.U.D.O.S.I.
Le 11 janvier 1933, il écrivait à H. Spencer Lewis, sur les conseils de François Wittemans: «Nous serions très honorés de pouvoir nous affilier à l'éminent Ordre Rosicrucien, dont vous êtes le Chef et le Guide [...] nous serions très heureux de pouvoir collaborer aux activités de l'A.M.O.R.C...». De ce premier contact amorcé par Jean Mallinger, naîtra bientôt la F.U.D.O.S.I., une société qui tentera de fédérer les Ordres et Sociétés Initiatiques d'une manière universelle ! Spencer Lewis y prendra une part active entre 1934 et 1939. Emile Dantinne, sous le nom de Sâr Hiéronymus, servira de faire-valoir à quelques jeunes disciples belges avides de régenter le monde de l'ésotérisme à l'aune de leurs propres conceptions. Plus qu'Emile Dantinne, Jean Mallinger dirigeait les choses, mais son caractère s'adaptait mal avec une fédération regroupant des organisations ayant des méthodes et des enseignements différents. Après s'être brouillé avec Constant Chevillon, François Wittemans, Georges Lagrèze, Jean Chaboseau, Jules Boucher, puis Eugène Dupré, c'est à Ralph Maxwell Lewis qu'il s'en prit. La situation devint telle qu'il fut préférable de clore les activités de la F.U.D.O.S.I., cette dernière n'admettant plus dans ses rangs qu'un petit groupe de Belges. Cette fédération entra en sommeil le 14 août 1951.
Les Salons de la Rose-Croix aujourd'hui
Après avoir été pendant longtemps considéré comme un épisode mineur de l'histoire de la peinture, le Symbolisme connaît depuis quelques années une nouvelle vague d'intérêt. La récente exposition organisée par le musée des Beaux-Arts de Montréal a montré que son rayonnement ne fut pas limité à la France et à la Belgique, mais qu'on se trouve face à un phénomène beaucoup plus vaste dont on trouve des exemples jusqu'en Russie. Les Rosicruciens actuels s'intéressent toujours à l'art. Harvey Spencer Lewis, Imperador de l'A.M.O.R.C. de 1915 à 1939, était lui-même un peintre était lui-même un peintre remarquable. L'Ordre de la Rose-Croix A.M.O.R.C. procède d'une filiation initiatique différente de celle de J. Péladan. Même s'il ne partage pas touts les points de vue - souvent excessifs - du Sar Péladan, il a, depuis janvier 1982, remis en activité les «Salons de la Rose+Croix», dans le cadre de son Centre Culturel, rue Saint-Martin à Paris. Les expositions s'y succèdent maintenant depuis bientôt quinze ans et nous invitent à méditer sur la beauté et l'harmonie. Contrairement aux divers mouvements que nous venons d'évoquer dans cette étude, l'Ordre de la Rose-Croix A.M.O.R.C., dans son présent cycle d'activité, peut revendiquer près d'un siècle d'existence. A titre de comparaison, l'Ordre Kabbalistique de la Rose-Croix n'exista qu'une dizaine d'années, et cela d'une manière assez chaotique. Celui de Joséphin Péladan ne fut actif que le temps d'une hexade esthétique. L'Ordre de la Rose-Croix A.M.O.R.C. doit sa pérennité à l'universalité de son message, à l'universalité de son message, à l'efficacité de ses enseignements et de son organisation. Loin des sociétés qui se cachent derrière un secret le plus souvent inexistant, il se présente comme une société discrète, proposant un réel travail mystique permettant à l'homme de vivre la spiritualité dans le monde moderne.
par Christian Rebisse
Source : http://arcalucis.netfirms.com/FL021.htm
Amadeo- Recherche de la maîtrise des énergies
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